Réflexions citoyenne sur notre Société, ses contradictions, ses déviances,recherche de pouvoirs. Liberté-Egalité-Fraternité-Laïcité, l'Amour, l'Ecologie... Lutte contre l'obscurantisme
A l’heure où l’euthanasie pourrait revenir à l’ordre du jour à l’assemblée nationale en vue d’une très hypothétique légalisation.
A l’heure où le médecin urgentiste de Bayonne risque toujours une condamnation à perpétuité pour homicide volontaire,
A l’heure où le suicide assisté existe déjà en Hollande, Belgique et Suisse ;
je voudrais vous témoigner d’une histoire que j’ai vécue et qui me marquera à jamais :
Il s’agit de Chantal, une cousine (nos grands parents étaient frères et sœurs).
Elle avait 5 ans en moins que moi.
Jeunes ados, nous nous voyions assez souvent, assistions à quelques « surprise-party » ensemble. Elle était mignonne avec sa mini jupe, ses socquettes blanches, paraissant plus que ses 13 ans, et quelque peu effrontée.
Bien que très proches, nos éducations judéo-chrétiennes communes excluaient tout rapprochement : entre cousins, ça ne se fait pas, n’est ce pas.
Des années plus tard, nous nous revîmes lors de nos premiers mariages respectifs, et puis nous nous perdîmes de vue.
1979 : ma mère m’appelle sur mon lieu de travail : elle avait reçu un appel de Chantal qui était en panne de voiture dans la région. Occupant un poste de direction, j’avais le privilège de quitter mon travail sans difficultés.
J’allai donc à sa rencontre, et la ramenai chez moi, en attendant que la dépanneuse vienne prendre son auto en charge, pour la ramener à Namur, où elle habitait.
En amis proches, nous avons échangé nos histoires et nos vécus.
Elle me raconta qu’elle avait divorcé, qu’elle était secrétaire de direction, et vivait seule dans un appartement proche de son lieu de travail.
Elle me parla longuement de ses difficultés de relation avec ses parents et plus particulièrement avec son père, ancien collabo, et qui continuait à vénérer Léon Degrelle, en exil en Espagne. Il ne pensait qu’à cela et ne prenait aucune attention à sa fille, tout comme sa mère d’ailleurs, en totale symbiose avec son mari.
Ils lui reprochaient aussi son divorce, lui rappelant que l’on se marie, c’est pour la vie.
Je la déposai chez elle et retournai assumer mes responsabilités professionnelles.
Une nouvelle fois, nous nous perdîmes de vue.
1993 :
Ma mère m’appelle et me demande : « Sais tu que Chantal a un cancer ? »
Je ne sus que répondre, le sang glacé par l’énormité de cette nouvelle.
Ma mère, continuant « C’est comme son grand père paternel : il a eu un cancer dans la mâchoire.., même que dans les derniers temps, il portait un masque en cuir lui cachant la moitié du visage »
J’étais glacé d’effroi : autant je me fichais éperdument du grand père de Chantal et de tous les détails sordides dont m’abreuvait ma mère, autant je ne pensais plus qu’à une chose ; retrouver Chantal le plus vite possible.
Je l’appelai à son travail, et, sans donner trop d’explications, lui demandai si je pouvais lui rendre visite.
Elle n’attendit même pas la fin de ma phrase avant d’entendre un grand Ouuiii !
Elle me donna sa nouvelle adresse et nous primes rendez vous.
Arrivé sur place à l’heure exacte, Chantal était descendue de son appartement et m’attendait : Belle comme un ange, élancée, maquillée, une robe rouge à poids blancs, escarpins assortis. Seule sa joue gauche paraissait enflée.
Une fois dans son appartement, et après avoir trinqué à nos retrouvailles, elle me parla d’abord de sa nouvelle vie, partagée avec un collègue de travail, davantage par peur de la solitude que par réel coup de foudre, etc…etc…
Le monsieur n’était pas là.
Au bout d’un certain temps, j’abordai la question essentielle : sa santé.
Elle me raconta qu’elle avait déjà été opérée 3 fois d’un cancer dans la mâchoire gauche, par un spécialiste du CHU d’Anvers, avec lequel non seulement elle se sentait en confiance, mais aussi rassurée, pouvant l’appeler jour et nuit.
J’écoutais Chantal, avec un amour grandissant, un amour vrai, désintéressé.
Elle devait le sentir car elle se confiait de plus en plus, me disant qu’elle devait négocier tous les jours avec cet intrus qui envahissait sa bouche :
« Tous les matins, quand je me lève, je le vois dans ma glace, je lui parle, lui demande de me laisser un peu tranquille… »
J’essayais de contenir mon émotion.
Elle me raconta aussi toute sa déception relative à son concubin, avec lequel elle ne pouvait pas échanger de cela, pas plus d’ailleurs qu’avec ses parents à elle.
Je l’écoutai, longuement, évitant de l’interrompre, mais mes yeux plongés le plus profondément dans les siens.
Lorsque je la quittai, je l’embrassai sur la bouche : ce geste, pour moi, voulait dire qu’elle était « une » et que sa bouche n’était pas exclue de sa personne.
Elle se pencha sur mon épaule, se mit à pleurer, me serra fort dans ses bras et me poussa vers la porte en me soufflant à l’oreille… « Merci Doudoune ».
A cette époque, Internet n’existait pas encore.
A partir de cette rencontre, Chantal se mit à m’écrire, très souvent, me racontant sans pudeur, sa souffrance tant physique que morale face à sa maladie.
Son professeur- chirurgien du CHU la contactait souvent pour demander de ses nouvelles, lui prescrivant des flacons entiers de morphine buvable.
Il lui disait : « Je ne veux pas que tu souffres : prends en autant que nécessaire » tout en la mettant en garde contre les effets possibles d’overdose.
A chacune de ses lettres, je répondais, longuement, très longuement.
Une sorte d’amour fort, très fort, s’était créé ; un improbable amour fait de générosité sans que le sexe y ait quoi que ce soit à y faire.
Nous nous revîmes deux fois.
La première fois près de Namur, où elle avait loué une petite maison en bordure de la Meuse, ce qui lui permettait de promener son chien « Saucisse »
Question d’oublier, le temps du récit, elle me raconta que son concubin avait une passion pour une femme Africaine, et
qu’elle l’avait invitée pour « faire connaissance» en présence de ce dernier.
Avec sa grande gueule, Chantal leur avait dit : « Profitez en bien, faites vous du bien, mais si possible pas chez moi ».
La deuxième fois : Chantal avait été en maison de repos dans les Ardennes. Elle m’avait téléphoné, et j’ai été la rejoindre, pour toute une journée.
Entre temps, elle avait été opérée de nouveau à 9 reprises à Anvers et le diagnostic était de plus en plus pessimiste.
Assis tous les deux sur un banc du parc, elle me parla longuement, allongée tout contre moi.
J’écoutais sa respiration, détendue. Nous écoutions le silence qui nous entourait, seul perturbé par les canards Col Vert qui pataugeaient dans un étang tout proche.
Je retiendrai deux questions, crues qui resteront à jamais présentes dans mon esprit :
« Doudoune, je voudrais te demander quelque chose »
Dis moi :
« Je voudrais que, quand le moment sera venu…, tu sois là, et me serres très fort la main »
Je lui promis, du fond du cœur.
Il s’en suivit un grand silence : en effet, elle savait que l’année suivante, je quitterais définitivement la Belgique pour le sud de la France. Elle me dit :
« Quand tu seras là bas, dans le sud, je ne serai plus de ce monde, mais tu verras dans le ciel, une petite étoile plus brillante que les autres : eh ben ce sera moi ! »
Je lui répondis que je serais attentif…, très attentif : mais je voudrais te dire que j’attendrai un signe de toi : renverse un vase ou une quelconque potiche, et j’essaierai de communiquer avec toi.
« Si je peux » répondit t’elle.
Le 22 janvier 1998, je reçus un appel de Rosa, m’annonçant que sa fille Chantal venait de décéder…ajoutant que « elle nous en aura bien fait voir, avec son cancer »
je coupai court à la conversation, lui demandant : « Ou est t’elle ? »
Elle me répondit qu’elle était à la morgue du CHU d’Anvers.
Je bondis dans ma voiture et fonçai vers Anvers.
Arrivé sur place, je dus attendre quelque temps avant qu’une dame me dise, sobrement : « vous pouvez venir… : vous êtes le premier »
Chantal reposait sans un catafalque, avec une vitre par-dessus.
Elle paraissait apaisée, le menton caché par un pansement : sans doute que cette saloperie de cancer avait fait surface…
Je glissai ma main par le rideau latéral et pris la sienne, toute froide.
Je n’avais pas pu respecter ma parole de lui prendre la main avant le grand voyage..
Mais sans qu’un mot ne puisse sortir de ma bouche, je lui ai dit : « T’es quand même vache, tu aurais pu me prévenir, ma Doudounette… »
Le 26 Janvier 1998
Il neigeait, il faisait glacial.
A l’Eglise, le curé de service fit son sermon d’usage qu’il devait encore lire…
L’assistance était plus que clairsemée.
Chantal fut enterrée en pleine terre, sous la neige tombante.
Sur sa tombe, je déposai une épitaphe, composée à la hâte et noyée sous plexiglass
et restai seul quelque temps, devant le monticule de terre…
Je ne saurai jamais si Chantal a été activement aidée à passer « de l’autre côté »
Ce que je sais, c’est qu’au-delà de toutes les saloperies qui peuvent nous arriver, à vous comme à moi, l’amour de l’autre reste la vraie et l’unique valeur.
Alors, messieurs les politiques et autres religieux de toutes espèces, j’ai envie de vous dire : « je vous emmerde »
Je vous emmerderai aussi longtemps qu’enfermés dans votre bien-pensance, vous oublierez l’essentiel de l’Amour de l’Autre et de ses volontés.
Quant à toi Chantal, tu ne mourras pas tant que je pourrai regarder les étoiles…